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...
- Que fais-tu là, petit ? Demande le joueur. - Euh... Je ne
fais rien de mal. Je vous le jure.
Répond l'enfant. - Je vois bien,
dit le joueur, esquissant au passage
un large sourire afin d'indiquer
au mioche
ses intentions pacifiques. Mais
pourquoi es-tu resté caché ici après
le match ?
- Je voulais juste
essayer
de vous voir de loin, répond l'enfant,
les yeux soudain devenus d'une intense
luminosité. Il sourit à son interlocuteur,
et derrière son sourire il
est facile de
deviner une évidente subjugation.
- Comment t'appelles-tu
? Et comment savais-tu que
j'allais revenir sur le terrain
? Demande le joueur.
- Je m'appelle
Pedro. Et j'avais l'intuition que
vous reviendriez sur le terrain
après le match. Je le savais,
car les grands acteurs veulent souvent revoir
une dernière fois la salle après
le spectacle, surtout si c'est leur
dernier. C'est en tout cas ce que
je me suis dit, et j'ai eu raison.
Termine le mioche dont le visage
semble désormais effacé de toute
trace de crainte et affiche au
contraire un air de vainqueur.
L'homme sourit
de plus belle, et passe la main
sur les cheveux du petit, en signe
amical.
- Tu as gagné
alors. Tu m'as vu.
Dit-il au gosse, l'invitant à s'asseoir
sur une des chaises des gradins
désormais bien vides. Et il
poursuit :
- Et nous sommes maintenant comme
deux stars déchues, ici, tous seuls
dans cet antre d'acclamations et
de cris de joie. Nous sommes plongés
dans le néant du silence. De quoi
avons-nous l'air ? Finit-il dans
un éclat de rire, désormais largement
partagé par le gosse qui semble
être entré tout droit dans un
rêve.
Luis, vous êtes
mon idole. Simplement mon idole,
mais c'est beaucoup une idole. Poursuit le gosse d'un air redevenu
sérieux. Et maintenant, enchérit-il,
maintenant que vous ne serez plus
le patron de la sélection portugaise,
ca fait déjà un vide. C'est comme
si mon coeur avait soudain déménagé
je ne sais où, mais très loin. Je ne peux pas bien
vous expliquer ce que je ressens. Finit l'enfant.
***
Le joueur semble
autant ému que le gosse qui lui
donne la réplique dans cette scène improvisée. Il considère
de toute évidence les paroles de son étrange
petit interlocuteur avec
un profond respect, et enchaîne...
-
Le vide que tu ressens, je le ressens
aussi déjà, une demi-heure
à peine après mon dernier match
revêtu de ce maillot fétiche pour
lequel j'ai donné toute mon énergie
d'homme. Je ne te connaissais pas,
mais au fond je savais que tu existais,
Pedro. Car tu es sans doute
le symbole de tous ceux qui
m'ont toujours soutenu dans l'ombre,
et qui ont été fiers de défendre
la sélection à travers mon travail.
Il y a trois minutes
nous ne nous étions jamais croisés, et curieusement,
poursuit le joueur, rien
que de savoir que désormais tu ne seras plus sur
les gradins à me regarder défendre
nos couleurs et que je ne jouerai plus pour toi
avec ce maillot, me donne un sentiment
de vertige. Finit-il.
- Il ne faut
pas !
Répond fermement et du tac au tac le petit Pedro
soudain devenu psychologue malgré
lui. En quelques instants, il s'est
transformé en adulte et sent que
les mots qu'il va prononcer auront
une grande importance pour son champion.
Il poursuit...
C'est sûrement
ça les champions, les vrais. Ceux
qui ne se contentent pas d'être de grands joueurs mais
qui deviennent des statues vivantes. Dit
le gosse. Ils ne ressentent pas
la peur du jeu et du combat, et
n'hésitent pas à se livrer de toute
leur âme pour tout donner.
Mais quand les lumières s'éteignent
et qu'ils savent qu'ils ne seront
plus aux avant-postes pour représenter toutes
ces mains qui applaudissent et tous
ces coeurs qui vibrent dans l'espoir,
ils se sentent réellement perdus. Faut pas
être triste. Les vrais champions
qui ont le sentiment d'avoir
vraiment tout donné, ne devraient pas se sentir vidés
mais au contraire pleins, remplis de tout le bonheur
qu'ils ont apporté à leurs supporters. Les vrais champions
doivent être fiers
et optimistes. Et vous êtes un champion, un vrai
comme le Portugal n'en a pas eut depuis longtemps. Vous
avez vraiment tout donné. Finit-il.
Après quelques secondes de silence
visiblement souhaité, le joueur répond :
- C'est toi qui
sans le savoir es en train de tout
me donner, petit. Et beaucoup plus
que tu n'imagines. Répond l'homme,
dont les yeux ont soudain pris un
indéfinissable éclat au parfum d'émotion
mais à l'allure d'une assurance brusquement
retrouvée.
Il dévisage alors
longuement le visage de l'enfant
avec un air de tendresse et un évident
respect. Le joueur semble voir en
lui le visage des millions de fervents
admirateurs qui l'ont toujours appuyé
et soutenu, y compris dans les moments
difficiles, surtout dans les moments
difficiles. Cela ne tarde d'ailleurs
pas à se confirmer, car le gosse,
paraissant lire dans les pensées
du géant du football avec qui il
a l'honneur d'échanger des mots, enchérit en se enhardissant
même à tutoyer son idole, car il estime
que l'on doit tutoyer les "Dieux"...
- Tu sais Luis,
ça ne fait que cinq ans que je
te soutiens car je ne suis pas bien
vieux. Ca fait cinq ans que je m'intéresse au football
et donc également à toi. Ca fait cinq
ans que je t'admire, mais je
ne me suis réellement senti
ton "supporter" que dans
tes moments difficiles.
Quand on
admire un champion, c'est permanent.
Mais si on le supporte vraiment,
c'est quand ça va moins bien et dans
les moments de doute que ça se voit. Et dans ces
moments-là, tu peux me croire que
j'ai crié à chaque fois que je te
voyais jouer pour le Portugal. Là, je t'ai vraiment
supporté. Si tu savais à quel point j'ai
hurlé ! Achève-t-il de dire, tout
en prenant un air canaille
et fier... Suite
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